2021-04-25 | |
«La vérité est la première victime de la guerre», que l’on doit à l’homme politique britannique Philip Snowden (1864-1937), résume bien l’attitude des médias grand public en période de conflits armés ou de crise sociétale importante. La recherche de la vérité est alors souvent sacrifiée au profit de l’union nationale ou de la défense des intérêts de l’Etat. La Suisse a été relativement épargnée par les conflits armés. Mais à certains moments critiques de son histoire récente, elle a dû se défendre contre des offensives psychologiques émanant de ses grands voisins européens. Ce fut le cas notamment lors de la Seconde Guerre mondiale, période durant laquelle des stratégies de «défense spirituelle» ont été adoptées par la Confédération pour protéger la population de l’assaut des idéologies fascistes et communistes. Dans ce contexte, la Suisse devait rendre crédible sa neutralité, tout en affirmant sa volonté de défense. Le Conseil fédéral a donc maintenu un équilibre délicat entre une attitude conciliante envers l’Allemagne et la préservation de sa souveraineté, incluant le droit à la liberté d’expression, inscrit dans la Constitution helvétique depuis 1848.
Avec l’entrée en guerre de l’Italie et la défaite de la France en juin 1940, la Suisse se trouva quasiment encerclée par les troupes allemandes. Le IIIe Reich mena alors une véritable «guerre des journaux» contre la Suisse. «Toute considération désagréable émise par un journal suisse pouvait être le prétexte d’un chantage politique, économique ou militaire», souligne l’historien Werner Rings dans son livre La Suisse et la guerre 1933-1945 (Lausanne, 1975). Le principal grief des dirigeants allemands était lié au principe de la neutralité, laquelle, selon Berlin, concernait non seulement l’Etat, mais aussi chaque citoyen et donc la presse. Le Conseil fédéral a toujours refusé d’instituer une censure sévère des médias, car le pays n’était pas officiellement en guerre. «En principe, et conformément aux conceptions démocratiques que l’on voulait affirmer face à l’Allemagne, la presse suisse restait libre. C’est pourquoi, sauf en cas de punition, la censure n’agissait qu’après publication: acte de confiance dans le sens de la responsabilité des journalistes, diront les uns, ruse du pouvoir conscient que l’autocensure serait encore plus sévère que l’intervention préventive, diront les autres», écrit l’historien André Lasserre dans son ouvrage intitulé La Suisse des années sombres, courant d’opinion pendant la Deuxième Guerre mondiale 1939-1945 (Lausanne, 1989).
Depuis mars 1934, cependant, un arrêté permettait au Conseil fédéral d’avertir et même de suspendre les organes qui mettraient en danger les bonnes relations avec d’autres Etats. Un régime de «liberté surveillée» fut également institué par les arrêtés fédéraux des 8 septembre 1939 et 30 mai 1940. Il s’agissait pour le journaliste d’«être conscient de ses responsabilités» et de «restreindre la liberté d’appréciation en matière internationale afin de sauvegarder le principe de neutralité et de conserver de bonnes relations avec tous les belligérants». Pour s’assurer que les journalistes se conforment aux instructions données par le Conseil fédéral, une surveillance fut instituée par le biais de la Division Presse et Radio (DPR), organe militaire placé sous l’autorité de l’état-major général (mais contrôlé dès septembre 1940 par l’Exécutif). La DPR prévoyait certaines sanctions si les informations transmises mettaient en danger la sécurité du pays ou portaient atteinte à sa neutralité. Comme le souligne l’historienne Francine Edelstein dans son article La presse suisse pendant la Seconde Guerre mondiale face à la Shoah, ces sanctions frappèrent essentiellement la presse socialiste qui ne manquait pas de faire entendre sa voix. Pendant la guerre, le quotidien de gauche «La Sentinelle», étroitement contrôlé, fut soumis à trois mesures de censure importantes (suspension de parution pendant quelques jours voire jusqu’à une semaine), pour avoir entretenu ses lecteurs «dans un état d’esprit activement hostile à l’Axe et à la France».
En septembre 1940, Jean Rubattel, président de l’association suisse de la presse, s’exprima de la façon suivante au sujet de ces restrictions envers les médias: «Si nous avons éprouvé des mesures rigoureuses, c’est que nous ne voulions pas que les sacrifices patriotiques de la grande majorité des journalistes suisses fussent réduits à néant par quelques indisciplines, par l’inconscience de quelques journalistes ou par des gens auxquels les destinées de notre pays sont indifférentes. La presse au service du pays, c’est notre mot d’ordre. Mais que l’on ne s’y trompe pas: nous avons également su situer la limite d’une capitulation morale ou d’une neutralisation de la pensée». Ainsi, en dépit du contrôle de la presse par les autorités fédérales, certains crimes perpétrés par les nazis ont, malgré tout, été largement divulgués par les journaux suisses. C’est le cas par exemple de la rafle du Vél d’Hiv en juillet 1942, lors de laquelle 8’160 juifs ont été enfermés dans l’enceinte du Vélodrome d’Hiver, à Paris, avant leur déportation en Allemagne.
La Société suisse de radiodiffusion (SSR), quant à elle, plus concentrée que la presse et donc plus facilement influençable, est placée en août 1939 sous la responsabilité du Département fédéral des postes et communications. Pour détourner la population de l’écoute des services allemands, trois, puis quatre bulletins d’information sont diffusés quotidiennement. Dans leur stratégie de «défense spirituelle», les autorités fédérales agirent aussi par un autre biais que les médias. Ils utilisèrent l’unité Armée et Foyer (AF). A l’origine section «armée» de Pro Helvetia parrainée par la DPR, AF prit sa forme définitive en septembre 1939. Sa mission était de «renforcer l’idéal patriotique, promouvoir la volonté de défense, resserrer les liens entre les soldats et le pays, distraire et développer spirituellement les mobilisés». Pour ce faire, l’unité organisa des formations civiques, des séances d’information, des conférences et des entretiens sur toutes sortes de thèmes propres à créer «une mystique de la défense du sol qui soit liée à l’idée de reconstruction morale et spirituelle de notre patrie», selon les mots du sergent Mottu, responsable du service des conférences pour les troupes romandes.
Der Schweizerische Rundfunk (SSR), der betroffener war als die Presse und damit leichter beeinflussbar, wurde im August 1939 dem Eidgenössischen Post- und Kommunikationsdepartement unterstellt. Um die Bevölkerung von den deutschen Sendern abzulenken, wurden drei, später vier, tägliche Nachrichtenbulletins gesendet. In ihrer Strategie der «geistigen Landesverteidigung» agierten die Bundesbehörden nicht nur mit den Medien. Sie benutzten die Einheit Army and Home (AF). Ursprünglich eine «bewaffnete» Sektion von Pro Helvetia und von der DPR gesponsert. Im September 1939 nahm die AF ihre endgültige Form an. Ihre Aufgabe war es, «das patriotische Ideal zu stärken, den Verteidigungswillen zu fördern, die Bindungen zwischen den Soldaten und dem Land zu stärken und die Mobilisierten zu unterhalten und geistig zu entwickeln» Zu diesem Zweck organisierte die Einheit staatsbürgerliche Schulungen, Informationsveranstaltungen, Konferenzen und Vorträge zu allen möglichen Themen, mit dem Ziel, «eine Vision der Landesverteidigung zu schaffen, die gleich mit dem moralischen und geistigen Wiederaufbau unserer Heimat einher geht», so die Worte von Feldwebel Mottu, der für den Konferenzdienst der französischsprachigen Truppen verantwortlich war.
Entre 150 et 200 personnes issues de tous les milieux étaient aussi convoquées à des cours. Elles recevaient des informations sur des sujets d’actualité, présentées par des spécialistes de l’administration, des officiers en civil ou des conférenciers volontaires. Les orateurs devaient «raconter des faits, analyser des problèmes, donner les motifs des mesures prises, mais jamais présenter directement ou indirectement de postulats politiques». Un ordre de marche et une solde rendaient la convocation plus sérieuse et obligeaient les employeurs à donner congé. «Ainsi instruits, ces gens de confiance avaient pour tâche d’informer leur entourage, de lutter contre les faux bruits [on dirait Fake News aujourd’hui], de distiller la confiance. Les cours et les sources devaient rester secrets, la diffusion discrète», indique André Lasserre dans son livre. De juillet 1941 à 1945, 628 cours furent organisés, réunissant 100’334 personnes, en plus de 2’523 conférences isolées adressées à 348’337 auditeurs.
Dès 1943, la pression exercée par l’Allemagne sur la presse helvétique s’affaiblit. Les armées du Reich furent défaites à Stalingrad, marquant un tournant dans la guerre. La propagande alliée fut généralement moins forte que celle de l’Axe, mais pas inexistante. En automne 1943, par exemple, l’émetteur clandestin «Atlantique», repris par la BBC, attaqua durement les entreprises qui faisaient du commerce avec le Reich, menaçant de les mettre sur liste noire. Trois secteurs furent dénoncés: les galeries de tableaux trafiquant des toiles volées, les industries d’armement et de précision qui alimentaient l’effort de guerre allemand et les entreprises électriques qui exportaient du courant.
Dès juin 1944, la censure s’assouplit sensiblement, sauf en matière de secret militaire. Le contexte général avait alors évolué. Le Reich, chancelant, n’était plus l’unique ennemi à combattre. Une grande partie de la population cherchait son inspiration en URSS, qui luttait si efficacement contre l’armée allemande. Qui incarnait désormais «l’anti-Suisse»? comment se positionner face aux États-Unis et quelle orientation donner au pays à l’avenir? Des questions auxquelles Armée et Foyer, agent de la défense psychologique, mais pas officine d’endoctrinement ou de prospective idéologique, ne pouvait répondre. En septembre 1945, l’unité fut donc liquidée. Elle renaîtra de ses cendres en 1957, mais au seul usage de l’armée. Après la guerre, la Suisse dut redéfinir sa place dans le concert des nations, ainsi que sa politique de neutralité. Elle renforça son image de terre d’asile et de pays humanitaire, quitte à occulter certaines de ses pratiques peu reluisantes durant le conflit mondial, que ce soit en matière d’immigration ou d’accords financiers.
Martin Bernard