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Entretien avec Rebecca Zlotowski - Réalisatrice

2023-02-14      
   

Rebecca Zlotowski est une scénariste et réalisatrice française née en 1980 à Paris. Diplômée de l’Ecole Normale Supérieure et de la Fémis, agrégée de Lettres modernes, elle réalise Belle Epine (Semaine de la critique à Cannes, prix Delluc du premier film, prix du syndicat de la critique), Grand Central (en sélection officielle à Cannes), Planétarium, avec Natalie Portman, présenté à la Mostra de Venise, et Une fille Facile (prix SACD à la quinzaine des réalisateurs à Cannes). Sa mini-série, Les Sauvages, adaptée du roman de Sabri Louatah et diffusée sur Canal Plus, obtient le prix de la meilleure série au syndicat de la critique. Elle vit et travaille à Paris. Les Enfants des Autres est son cinquième long métrage.

J’ai pensé Les Enfants des Autres dans sa dimension mélodique, littéraire. Il faut lire pleinement tous les fondus au noir, les ouvertures à l’iris, les cieux dans lesquels les saisons passent, comme des chapitres d’un compte à rebours lancé dans la vie d’une femme, d’un couple, son désir. J’ai beaucoup pensé à certaines études de mœurs dans lesquelles les américains ont si bien excellé, Shoot the moon d’Alan Parker, Kramer contre Kramer, Une femme Libre... Des films définitifs sur des expériences banales, collectives. Avec une forme de générosité musicale et de simplicité classique dans la construction, une modestie dans la peinture de ces relations qui se nouent, se délitent, se brisent et luttent.

Les Enfants des Autres doit quasiment tout à ses interprètes, ça n’est pas le cas de chaque film. Roschdy Zem, mon grand allié depuis Les Sauvages, Chiara Mastroianni, qui a accepté de venir pour quelques scènes car en les tournant nous nous disions qu’on déjouait la règle selon laquelle il n’y a souvent de place que pour un seul grand rôle féminin, pas deux.

Le film a surtout réparé -et j’allais dire vengé ! le rendez-vous raté il y a des années avec Virginie Efira, qui apporte ici son « cerveau érotique», pour reprendre l’expression de la romancière Anne Berest (qui joue dans le film elle aussi). Son intelligence de jeu, sa générosité, sa dignité en faisaient l’héritière des figures de ces études de mœurs dont l’ombre planait, tutélaires, au-dessus du film : Jill Clayburgh, Meryl Streep, Diane Keaton. Des femmes qui m’émeuvent et en qui je me reconnais, pour qui la féminité n’est pas une donnée, mais leur propre invention. Démarche, diction, réactions, séduction : il n’y a pas d’ensoi de la féminité chez Virginie, mais une volonté, farouche et obstinée, de l’être. De construire la personne qu’on veut être. Et je l’ai aimée.

Par une ironie du sort, alors que je ne l’espérais plus, j’ai découvert en préparation que j’étais enceinte et j’ai tourné ce film en attendant un enfant qui est né quelques jours après la fin du mixage. J’ai eu la sensation de filmer cette lettre d’amour, de solidarité aux femmes sans enfant -des nullipares, comme disent les médecins - tout en n’appartenant déjà plus tout à fait à leur communauté, sans appartenir encore à l’autre.

J’ai voulu faire, avec Les Enfants des Autres, un film qui m’avait tout simplement manqué.