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Économie & Finance - Une Récession De Plein Emploi

       
   

Un adage bien connu circule à Wall Street, depuis la nuit des temps, pour justifier une phase particulière d’un cycle économique et financier. Ce leitmotiv est souvent lancé en période d’euphorie : « This time is different ». Nous avons souvent entendu cette phrase, lors de la bulle Internet ou après des années de baisses de taux d’intérêt ininterrompues jusqu’il y a peu, pour justifier l’injustifiable : « Le coût de l’argent restera bas quasi indéfiniment, car les temps ont changé ». Les forces de rappel des marchés et l’explosion des bulles financières qui en ont découlé ont ramené à la raison des hordes de spéculateurs grisés pas le gain facile, à l’image de la frénésie qui a embrasé les cryptomonnaies ces dernières années. Les cycles économiques se suivent et se ressemblent malgré l’innovation et les disruptions technologiques qui s’accélèrent comme la révolution numérique et l’irruption de l’intelligence artificielle dans nos vies. Les politiques monétaires menées par les Banques centrales du monde entier dictent encore et toujours le rythme et l’ampleur des cycles économiques et financiers. Si les instituts d’émission injectent trop de monnaie dans les circuits financiers par rapport à la demande provenant de l’économie réelle : une bulle financière se développera, comme celle que nous avons connue ces trois dernières années. Nous rappellerons que la masse monétaire au sens étroit appelée M1 et qui est directement contrôlée par la Federal Reserve Bank aux États-Unis est passée, en l’espace de quelques mois durant la crise de la Covid-19, de Usd 4’500 milliards à plus de Usd 20'000 milliards. Cette masse d’argent libérée dans le système a conduit à une inflation des actifs mobiliers et immobiliers hors de toute proportion et elle a engendré une spéculation débridée sur les marchés que nous n’avions jamais observée en quarante années de carrière. Rien n’y a échappé, spéculation sur les actions, les cours des obligations, les cryptomonnaies, en partie sur les métaux précieux, l’art, les montres et les voitures anciennes. La suite logique du cycle a été, par effet de ruissellement, une transmission de l’inflation des prix observés sur les marchés financiers vers l’économie réelle où la demande a excédé l’offre de biens et services et a engendré une inflation de tous les produits de consommation. Le tout a été exacerbé par les chocs dans la chaîne d’approvisionnement, suite à la pandémie et, plus récemment, par le déclenchement de la guerre en Ukraine. Pour paraphraser un banquier central : « Une fois que le génie de l’inflation est sorti de la bouteille, il est très difficile de le contenir et de le faire rentrer à nouveau dans son récipient ». C’est ce que l’on appelle la spirale inflationniste coûts/salaires que l’on n’avait plus connue depuis les années 70. Malgré un resserrement tardif des conditions monétaires et un cycle de successions de hausses de taux d’intérêt le plus rapide de l’histoire, l’inflation de base, en excluant la volatilité des prix de l’énergie et de la nourriture, continue de progresser à haut niveau en glissement annuel. À titre d’exemple, l’inflation de base s’est établie à 5,3 % dans la zone euro au mois d’août.

La spirale inflationniste est en premier lieu alimentée par un acteur qui devrait se soucier du bien-être de ses concitoyens : l’État. La Suisse est un bon exemple des rigidités structurelles que notre pays connaît en matière de prix administrés : transports publics, distribution d’électricité, assurances-maladies et indexation des loyers sur l’inflation. Tous les acteurs de la vie économique qui ne connaissent pas de véritables concurrents profitent du prétexte de l’inflation pour augmenter leurs tarifs afin de maintenir leurs marges de profits. C’est dans ce contexte que Monsieur Prix suisse a convoqué les états généraux de l’inflation, on verra ce qu’il en ressortira. Bien qu’une politique monétaire restrictive puisse avoir des effets sur l’économie réelle, elle n’en a guère sur les prix administrés. En cela, la période actuelle nous rappelle celle que nous avions connue au début des années 90. Les cycles que nous avons connus ces quarante dernières années ont été en définitive courts dans le temps, même si parfois ils ont été violents comme après les attentats du 11 septembre 2001, la crise de 2008 ou celle de la COVID-19. L’inflation n’a jamais été un vrai problème durant cette période grâce à la mondialisation et à la délocalisation des unités de production vers des pays à faibles coûts. C’est la raison pour laquelle les Banques centrales ont été en mesure de réagir rapidement. Elles ont continué d’utiliser les mêmes outils à leur disposition, à savoir l’arme des taux d’intérêt, puis celle de l’assouplissement quantitatif des politiques monétaires pour relancer la machine. Les limites de ces politiques répétitives ont été touchées lorsque les taux d’intérêt ont atteint le niveau zéro et sont entrés en zone négative, une étape qui incarne la négation du système bancaire et financier sur lequel il a été bâti depuis son origine.

Ce cycle économique et financier est-il différent ?

Les cycles économiques se suivent mais ne se ressemblent pas. La période actuelle ressemble dans les grandes lignes à celles que nous avons connues dans le passé : l’inflation, pointe son nez, l’économie est en surchauffe et les Banques centrales sortent leurs outils qui consistent principalement à relever les taux d’intérêt dans l’économie afin de freiner la demande de crédit et l’activité économique. La grande différence par rapport aux cycles de ces dernières décennies est que l’inflation a explosé alors que les taux d’intérêt n’avaient jamais atteint un niveau aussi bas pour, finalement, se retrouver en territoire négatif. Les Banques centrales du monde entier ont été surprises par le retour violent de l’inflation. Durant l’été et l’automne 2021, elles se montraient rassurantes, estimant que la hausse des prix des biens et des services n’était que temporaire et était liée aux phénomènes d’ajustement de l’économie après la réouverture de l’activité suite à la pandémie de la COVID-19. Lorsqu’elles ont pris conscience que l’inflation s’installait durablement dans le système économique et financier, il s’en est suivi la plus forte remontée du loyer de l’argent de l’histoire économique récente. La guerre en Ukraine et les conséquences qui en ont découlé ont contribué à exacerber la dynamique de la hausse des prix. À notre avis, ce cycle est différent de ceux que nous avons connus ces quarante dernières années pour plusieurs raisons :

1. La mondialisation à bas coûts a atteint ses limites. Au fil des années, le niveau de vie est progressivement monté dans les pays émergents et a donné naissance à une classe moyenne qui n’accepte plus de travailler pour des salaires de misère et d’être corvéable à merci. 2. La crise sanitaire de la COVID-19 a mis en évidence la très forte dépendance de nos économies occidentales à des biens ou même des composants entrant dans la fabrication de produits ouvrés dans tous les domaines et fabriqués à l’autre bout du monde. Nous pensons à l’industrie des semi-conducteurs qui, aujourd’hui, se retrouvent dans tous les appareils de la vie courante ; il en est de même pour les ingrédients entrant dans la fabrication de médicaments. La relocalisation de ces industries dans les pays proches de leurs marchés finaux va coûter très cher au niveau des investissements et renchérir le prix des produits finis, cela prendra également du temps. 3. La démographie est, à notre avis, l’élément déterminant qui fera que ce cycle sera très différent de ceux que nous avons connus dans le passé. Nous avions écrit un article de réflexion en septembre 2018 intitulé : « La revanche du salarié ou du robot ? ». Cet article, précurseur à l’époque, anticipait une mutation du marché du travail dont les entreprises et le grand public n’ont pris conscience qu’au moment de la réouverture des économies après la pandémie de la COVID-19. La crise sanitaire a exacerbé un phénomène naissant, à savoir le départ massif de la génération des baby-boomers à la retraite et elle a mis en évidence le manque de main d’œuvre disponible et qualifiée pour prendre le relais. Ce phénomène démographique se retrouve dans quasiment toutes les économies à travers le monde et contribue à exacerber la spirale inflationniste coûts/salaires. 4. La géopolitique joue également un rôle dans le déroulement du cycle que nous vivons actuellement. Il existe un risque sérieux que la dynamique de la mondialisation qui s’est accélérée depuis la chute du mur de Berlin connaisse un sérieux coup de frein face aux tensions croissantes entre les grandes puissances et face à un retour larvé d’une forme de protectionnisme qui ne porte pas son nom.

Une récession de plein-emploi

Les facteurs énumérés ci-dessus sont caractéristiques du cycle que nous traversons, cela nous conduit à caractériser cette période sous le terme de : « Récession de plein-emploi ». Les forces récessionnistes sont présentes sous la forme d’un loyer de l’argent qui a renchéri et de pressions sur les prix des biens et services qui vont écorner le pouvoir d’achat disponible des ménages. Néanmoins, le fait que l’économie emploie la quasi-totalité de ses forces vives soutiendra la demande finale, donc la consommation privée et cela atténuera les éventuelles pressions politiques pour diminuer les taux d’intérêt dans un horizon proche. En définitive, les Banques centrales jouent sur du velours en ce moment, elles peuvent continuer de maintenir des politiques monétaires relativement agressives au risque de provoquer un effet de stress dans le système financier mondial. Dans les faits, c’est ce qui s’est déjà passé au mois de mars lorsque le risque d’un effondrement systémique de plusieurs banques américaines et du Credit Suisse s’est matérialisé. Les Banques centrales ont dû réinjecter des liquidités dans le système interbancaire pour le stabiliser, tout en renonçant temporairement à leur objectif de lutte contre l’inflation. L’orage ayant passé, nous pensons que depuis le milieu de l’été, nos instituts d’émission ont repris leur cycle de resserrement monétaire. L’observation de l’évolution de la masse monétaire M1 aux États-Unis ainsi que d’autres indicateurs monétaires nous donneront des informations intéressantes sur le sujet au cours des mois à venir. Néanmoins, nous observons que les marchés liés au taux d’intérêt ont tous souffert ces dernières semaines.

Nous rappellerons que les deux principales missions assignées aux Banques centrales consistent à assurer la stabilité des prix et à créer, à travers les outils à leur disposition, les conditions-cadres permettant de favoriser le plein-emploi. Concernant la Banque Nationale Suisse, elle s’est de facto accordée le mandat de mener une politique visant à stabiliser le franc suisse contre les grandes monnaies internationales. Compte tenu de la situation que nous avons évoquée, les banquiers centraux sont à l’aise pour maintenir un niveau de taux d’intérêt élevé et peut-être plus longtemps qu’il ne sera nécessaire.

Conclusion

En conclusion, nos sociétés développées vont devoir s’adapter à une nouvelle forme d’organisation du travail pour répondre au vieillissement de la population qui nécessitera de plus en plus d’attention et de soins. À l’autre extrême du spectre, l’économie devra fonctionner avec moins de personnes qualifiées. Ces deux phénomènes conjugués sont de nature durablement inflationnistes. Le meilleur exemple étant la hausse ininterrompue des coûts de la santé à la charge de la collectivité et des individus. Quant à l’économie réelle, suivant les bonnes vieilles règles de l’offre et de la demande, les entreprises devront augmenter les rémunérations de leurs salariés pour conserver ou attirer de nouveaux talents, ce qui aura des conséquences sur les prix de vente des biens et services mais également sur les marges de profits des entreprises si celles-ci n’ont pas de levier auprès de leurs clients sur la fixation des prix. Il est encore trop tôt pour juger de l’impact que l’arrivée des robots et de l’intelligence artificielle aura sur nos vies et sur l’organisation de nos sociétés à l’avenir, il n’est pas impossible que le progrès technologique puisse répondre en partie à la problématique du manque de main d’œuvre qualifiée dans certains domaines. À plus court terme, après une période dorée de plus de trente ans pour le consommateur occidental, ce dernier va de nouveau devoir faire des choix de consommation, réfréner ses pulsions consuméristes et arbitrer ses achats. Il ne pourra plus offrir à sa famille un smartphone par année, X paires de baskets et partir en avion à tout bout de champ pour quelques dizaines de francs. Le réveil va être douloureux et engendrer des frustrations qui commencent déjà à se manifester sous la forme de tensions et de revendications sociales.

OR/Octobre 2023

www.emcge.com

 

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