2021-11-01 | |
Pilote emblématique suisse de Formule 1, Clay Regazzoni a marqué toute une génération de fans dans les années 70. Vice-champion du monde en 1974, il a trouvé la mort dans un accident de circulation le 15 décembre 2006 sur l’autoroute A1 Milan-Bologne. Retour sur une carrière et une vie qui n’a laissé personne indifférent... Le 30 mars 1980, sur le circuit de Long Beach aux USA... Clay Regazzoni est au volant de son Ensign, lorsqu’au 51ème tour sa voiture est victime d'une défaillance de ses freins au bout de la longue ligne droite du circuit. Le Tessinois, à plus de 280 km/h, tente de se réfugier dans une échappatoire où se trouve déjà immobilisée la Brabham de Ricardo Zunino. Après un premier choc avec la Brabham, sa voiture percute avec une rare violence un muret de béton. Sérieusement touché à la colonne vertébrale, Regazzoni conserve toutefois une sensibilité dans ses jambes mais l'opération de stabilisation de la colonne réalisée dans la soirée échoue et le pilote helvétique se réveille paraplégique, contraint de passer le restant de ses jours dans un fauteuil roulant.
Durant son premier séjour à l’hôpital, Clay Regazzoni a eu la chance d’être très entouré. Par sa famille et quelques amis proches dont son ex-manager Sergio Moscatelli: « Les médecins l’avaient placé dans un lit "sandwich" qu’il fallait retourner toutes les deux à trois heures. Du coup, on devait se coucher sous le lit pour lui parler.» avait-il déclaré sur la TSR en 1997. « Un souvenir encore très présent » Au micro de la RTS, Jacques Deschenaux, ancien patron du département des sports de la chaîne romande se souvient parfaitement de cet événement traumatisant: « Je commentais la course en cabine à Genève. La course n’était pas très bien réalisée et les images n’étaient pas de bonne qualité. En plus on n’avait pas d’infos. On ne savait pas si Clay était en vie ou pas. Seule certitude, vu l’état de sa voiture j’ai su très vite que c’était très grave.»
Ce jour de mars 1980 a, bien évidemment, changé le cours de la vie de Clay Regazzoni. Lui, le Tessinois souriant et charismatique, apprécié de tous, malgré son caractère bien trempé. Un pilote atypique qui avait pris place dans le cœur des amateurs suisses de F1 aux côtés d’un autre pilote emblématique Jo Siffert. Après avoir partagé la vie sur circuit durant 2 saisons, Regazzoni va se retrouver orphelin après le décès du pilote fribourgeois, tué lors du Grand Prix de Brands Hatch en Angleterre le 24 octobre 1971 à l’âge de 35 ans. Né à Mendrisio au Tessin en 1939, Clay Reggazoni a connu ses premiers tours de roues en Formule 1 en 1970 après avoir remporté, la saison précédente, le championnat de Formule 2. C’est la Scuderia Ferrari qui lui ouvrira la porte d’une carrière durant laquelle le Tessinois va remporter, outre un titre de vice-champion du monde en 1974 derrière le Brésilien Emerson Fittipaldi, 5 victoires et 28 podiums.
Mais tout n’était pas gagné d’avance dans la vie de ce fils de carrossier, né dans un pays où la pratique du sport est fortement limitée depuis le drame des 24 Heures du Mans en 1955. Dans ce contexte, Clay Reggazoni n’a débuté la compétition automobile qu’à l’âge 24 ans en disputant des courses de côte et des rallyes, avant de monter les échelons traditionnels, Formule 3, Formule 2 (dont il deviendra champion du monde en 1969) puis Formule 1 dès 1970. Tessinois mais considéré par tous les "tifosis" comme un italien, Clay Regazzoni va se distinguer, durant sa période Ferrari, par un style de pilotage hautement spectaculaire et clairement basé sur les prises de risque. En 1974, il connait sa meilleure saison avec un titre de vice-champion du monde au terme d’une saison où il doit se battre en interne dans la scuderia avec Niki Lauda. Impliqué jusqu’au bout de la dernière ligne droite de la saison, il va finalement lâcher le titre mondial face au Brésilien Emerson Fitipaldi. Après 2 dernières saisons chez Ferrari (1975 et 1976) durant lesquelles, dans l’ombre de Niki Lauda, il va cueillir 2 nouveaux succès en Grand Prix, Clay Regazzoni va rejoindre l’écurie Williams avec laquelle il va signer, en 1979, à Silverstone son plus prestigieux succès, car acquis à presque 40 ans.
Et c’est donc l’année suivante que la carrière du pilote tessinois va être stoppée nette par l’accident de Long Beach. Mais connaître Clay Regazzoni, c’est aussi se souvenir que malgré le traumatisme de sa nouvelle réalité, le Tessinois ne va pas se morfondre très longtemps. Il va continuer à conduire épisodiquement en compétition jusqu'à la fin des années 1990 à bord de voitures spécialement aménagées avec les commandes au volant. Regazzoni participe ainsi à plusieurs rallyes-raids comme le Paris-Dakar ou le Londres-Sydney, mais également à des épreuves sur circuit, telles les 12 Heures de Sebring en 1993. Avant de se retirer définitivement de toutes compétitions. « C’était un très bon pilote qui aimait prendre des risques. Il était souriant, c’est vrai, mais il avait des comportements parfois paradoxaux.» Une vraie "tronche" explique Jacques Deschenaux et précise: « Il détestait la contrariété. Sur la piste comme dans la vie. Je me souviens de nos parties de carte lorsqu’il habitait Menton. Il pouvait pousser de grosses colères entre deux sourires.»
L’ancien patron des sports de la RTS se rappelle aussi que nul n’est prophète en son pays: « Regazzoni n’était pas une méga star en Suisse. Les gens, notamment en Suisse alémanique, ne l’aimaient pas beaucoup. Mais attention, en Italie c’était un Dieu. Les gens portaient leurs enfants pour que Clay les bénisse. C’était fou. Pour moi, si Jo Siffert était comme un frère, Clay Regazzoni était un bon copain. Il n’était pas très diplomate, avait parfois de grosses colères et il était incompris. Mais c’était un chic type.» Autre caractéristique du pilote, si énigmatique, son moral d’acier: « A son retour en Suisse, un mois après son accident, je l’avais vu au centre paraplégique de Bâle. Il était persuadé qu’il pourrait un jour remarcher. Il avait toujours le moral jusqu’à l’accident qui lui a enlevé la vie » rappelle Jacques Deschenaux.
Clay Regazzoni a trouvé la mort le 15 décembre 2006 dans un accident de la circulation sur l'autoroute A1 Milan-Bologne, vers la jonction avec l'autoroute A15 Parme-La Spezia, lorsque son monospace, modifié pour être conduit par un paraplégique, a heurté un camion qu'il dépassait avant de faire une embardée et d'aller s’écraser contre une glissière de sécurité. Tout laisse supposer que Regazzoni a eu un malaise et a perdu le contrôle de son véhicule. Les secours n'ont pu que constater le décès du Tessinois. Un décès survenu à quelques encâblures du circuit de Monza où il avait cueilli son premier succès en Formule 1 lors de sa première saison pour la Scuderia en 1970. Un décès qui a causé, à l’époque, une émotion planétaire. En Suisse, en Italie, mais aussi au Japon où il était très apprécié.
Alessia, sa fille aînée, se souvient très bien du temps béni passé en famille: « à nos yeux, il n’était ni un sportif à succès, ni une idole mais simplement notre père. La famille était l’endroit où il rechargeait ses batteries et il profitait de toutes les petites habitudes que son séjour à la maison pouvait lui offrir. On adorait regarder ensemble les films de western. Il connaissait d’ailleurs tous les dialogues par cœur. Il aimait la tranquillité, il parlait peu. Mais était plein d’amour pour nous. Et il nous faisait beaucoup rire. On ne le considérait pas comme une star, même si le dimanche, il nous enthousiasmait à la télévision.» avait-elle déclaré il y a quelques années, avant d’ajouter: « Personnellement, je pense qu’il y avait une grande différence entre la mentalité suisse et la mentalité italienne: à l’école, personne ne parlait de mon père et on ne faisait aucune distinction nous concernant, mais dès qu’on avait passé la frontière, on ressentait immédiatement l’incroyable attachement des passionnés de Ferrari. Nous en avons été très étonnés. Je me souviens d’un épisodes où les enfants, accueillis par certains sponsors, nous emmenaient avec eux à l’école pour montrer à tous leurs camarades les enfants de Clay Regazzoni. J’avais presque honte.»
J’avais eu la chance de le croiser lors d’un de ses passages à Lausanne en 1997. Alors journaliste à la Radio Suisse Romande, ce souvenir reste tenace. Assis dans sa "nouvelle Ferrari" comme il me l’avait alors confié (ndlr: sa chaise roulante) sa chaleur humaine, son enthousiasme et son sourire reflétaient la beauté de son âme. Même si on sentait les traits de son caractère bien trempé. Clay Regazzoni, était une véritable star, une icône mais sans les paillettes! Les yeux dans les yeux, il m’avait servi cette phrase en forme de leçon: « Vous savez, certaines personnes se plaignent de leur condition de vie, de leur travail, de leur santé où leur relation amoureuse. Mais cela uniquement parce qu’ils ne cherchent pas le bonheur là où il se trouve.» Quinze ans après sa mort, il reste l’un des sportifs suisses les plus aimés de tous les temps et cela bien au-delà des frontières du pays. Tout cela parce qu’il s’est engagé avec son cœur en faveur des autres, laissant un magnifique héritage, en tant qu’athlète mais surtout en tant qu’être humain.
Interview : Laurent Bastardoz