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Entretien avec Monia Chokri - réalisatrice et actrice

2023-11-25        
   

Formée au conservatoire d’art dramatique de Montréal, Monia Chokri est actrice, scénariste et réalisatrice. Elle a travaillé entre le Canada et la France, comme comédienne au théâtre et au cinéma. Elle se tourne en 2013 vers la réalisation.

Avec Simple comme Sylvain, vous filmez le couple comme un fait social. Qu’est-ce qui a fait germer cette réflexion chez vous ?

C’est venu de façon évidente. Je trouve que les films romancent beaucoup la rencontre amoureuse, ignorent l’environnement social - c’est pourtant tellement fondateur de ce que va devenir un couple. J’ai moi-même eu plusieurs manières de vivre en couple et j’ai pu m’apercevoir de tous les paramètres qui vont au-delà des seuls individus. À un moment donné, tout ce qui est autour prend le pas sur la relation en elle-même. Les amis, la famille, le travail, le voisinage, tout cela pèse sur elle.

Sophia et Sylvain viennent de deux classes sociales différentes, que vous restez attentive à ne pas caricaturer.

Ça aurait été ridicule si ça avait été trop tranché. La rencontre amoureuse se serait arrêtée, on n’aurait pas cru qu’un homme rustre et con puisse attirer une femme très intello. Lui n’aurait pas été intéressé par elle non plus. Il fallait des points de rencontre, des fils qui passent entre eux. Je trouve aussi que c’est touchant quelqu’un qui dit : « Je m’intéresse à toi, donc j’ai lu Guillaume Apollinaire » à qui l’autre répond « Je m’intéresse à toi, donc j’ai lu un livre sur la chasse. »

Sophia a 40 ans et enseigne à des gens plus âgés qu’elle. Cette question de prendre de l’âge traverse le film. Cela renvoie-t-il à votre rapport au temps qui passe ?

Quand on tombe amoureux, qu’on a le désir de vivre cette passion, on n’a pas le temps. Personne ne peut le voir à part moi, mais dans le film il y a énormément de références à mon enfance et à mon adolescence. Dans la deuxième scène du film, Sophia met de l’essence dans sa voiture et regarde des adolescents s’embrasser. On sent sa nostalgie d’un sentiment qu’on ne peut vivre qu’adolescent, ou très jeune. Même si on peut vivre de telles passions plus tard, ça devient plus rare. Mais quand ça nous tombe dessus, on retombe un peu en adolescence. Quand Sophia rencontre Sylvain, elle a ce besoin de vivre quelque chose, qui a à voir avec un dernier éclat de jeunesse avant de rentrer dans un âge plus calme. Et puis, je n’en parle pas de manière évidente dans le film, mais elle est aussi confrontée à l’idée de la maternité. Elle en parle deux fois. La première fois, elle est dans la voiture et elle dit « En même temps, faire des enfants à notre époque, quelle angoisse ! » Puis elle en reparle avec Sylvain à qui elle dit : « Je n’ai jamais voulu d’enfant, mais avec toi je pense que j’aimerais. »

La grande question du film, c’est : « Peut-on aimer l’Autre, aussi différent soit-il de nous ? » Avez-vous tranché ?

Je pense qu’on peut aimer l’Autre pour ce qu’il est. Mais que c’est un grand défi, ça demande de la détermination. Comme dirait bell hooks, c’est un choix de comprendre l’autre dans sa différence.